
Depuis plus d’une décennie, anonymes et célébrités de tous bords défilent devant mon objectif. Qu’ont-ils en commun, hormis des résonances sociales, esthétiques ou psychologiques ? Pourquoi constituer cette étrange mosaïque, échappant ainsi à toute thématique apparente ? Parce que la condition humaine est ma grande préoccupation et qu’elle constitue l’essence même de ma démarche.
Le monde n’est pas fait pour nous plaire ou nous déplaire – il est tout simplement avec ses contradictions, ses paradoxes, ses nuances et ses contrastes. Plutôt que de réduire le réel au prisme de mes convictions et d’enfermer l’autre dans des cases identitaires, j’ai toujours placé la curiosité au-dessus de tout. Cette curiosité universaliste m’a conduit dans les secteurs les plus hétéroclites : des camps de Roms au Festival de Cannes, je n’ai aucune frontière et navigue aisément d’un milieu à l’autre muni de mon appareil photo.
Très jeune, je fais poser ma famille – le portrait s’impose alors comme une nécessité évidente. Au lycée, mes amis se prêtent au jeu ainsi que les inconnus que j’aborde au gré de mes rencontres. Toujours à la recherche d’un nouveau visage – guidé par l’instinct et porté par le hasard, j’ai pour unique critère l’émotion que l’autre suscite en moi. Et si la dérision plane dans le choix de certains sujets, elle est toujours emprunte de tendresse – la dignité est la limite infranchissable. Le bac en poche, je me lance en autodidacte – ma jeunesse est un atout, la chance me sourit. Entre commandes et travail personnel – protocole et improvisation, mon métier m’amène à croiser ceux qui m’ont tant fait rêver adolescent et peuplé ma mythologie inconsciente : Emir Kusturica, Annie Leibovitz, Salman Rushdie ou Françoise Gilot entre autres, dont les portraits sont publiés dans des magazines et exposés à diverses reprises.
N’abandonnant pas pour autant le portrait, je m’aventure dans les instantanés de rue et les reportages – constituant ainsi des séries. Mais qu’il s’agisse d’une vendeuse de légumes prise sur le vif à Marrakech ou d’une séance de pose avec Isabelle Adjani, le rapport est identique : mon désir intrusif de posséder l’autre comble son attente inavouée d’être saisi – c’est un jeu de confiance et de séduction réciproques. Parfois, l’autre s’abandonne totalement – oubliant ma présence et celle de l’appareil. C’est l’instant de grâce où je peux extraire le contenu de la cervelle de mon sujet et la lui appliquer sur le visage – telle est mon ambition.
Tels des fragments semi-autobiographiques, mon portfolio dévoile aussi le panorama de mes obsessions intimes : car s’il tend à relater plus d’une décennie d’observations au cœur de la famille humaine, il constitue surtout une généalogie fictive que l’enfant adopté que je suis s’est fabriquée au cours des années. Et puisqu’un photographe fait toujours son propre portrait, peut-être ces observations ne sont au final qu’une déclinaison d’autoportraits…
Je laisse aux spectateurs en juger.